La crise démocratique que notre pays traverse constitue d’une certaine manière le point final d’un long processus de séparation entre les Français et leurs représentants. Progressivement, la classe politique s’est détachée du reste de la population jusqu’à susciter rejet et colère chez une majorité de Français. Ils sont près de deux citoyens sur trois à ne plus se reconnaître dans la champ politique actuel et à faire, élections après élections, un choix par défaut, si ce n’est à se réfugier dans l’abstention. Inévitablement, la crise de la représentativité a engendré une démocratie minoritaire et, désormais, aucune force politique ne semble en capacité de gouverner au nom et pour le compte du peuple Français.
Nous ne pouvons pas nous résigner à abandonner à une assemblée divisée et encore moins à un homme isolé en proie à un rejet croissant, la charge de décider seuls des réponses à apporter aux crises protéiformes auxquels notre pays est confronté́. Il ne s’agit pas de remettre en cause les qualités de tous nos représentants, ou la volonté sincère de nombre d’entre eux de servir l’intérêt général, mais de reconnaitre que la conjugaison de ce blocage institutionnel et des périls qui s’amoncellent rendent nécessaire la recherche d’une autre voie.
En l’occurrence, seuls les citoyens, acteurs oubliés de cette longue séquence, disposent des aptitudes et de la légitimité pour régénérer notre démocratie et permettre l’émergence d’une vraie majorité de projet, en capacité de mener une politique forte, efficace et au service de tous. Pour sortir notre pays de cette impasse, nous n’avons pas d’autres options que faire le pari du peuple, ce qui signifie concrètement lever tous les écueils qui empêchent les citoyens d’exercer pleinement leur rôle politique.
En dépit des tensions qui gangrènent notre société, les Français s’avèrent être bien moins polarisés que leurs représentants car ils se retrouvent sur l’essentiel et sont nombreux à aspirer prendre leur part du travail collectif de redressement du pays. Il faut cesser de craindre l’opinion des Français, de réduire le peuple à une foule indécise, en proie à tous les excès, incapable de trouver les réponses à ses aspirations profondes mais, au contraire, faire le pari de notre intelligence collective. Il faut reconnaitre que les citoyens, éclairés par la science et la raison et guidés par les expertises et les connaissances de chacun, peuvent relever les défis multiples qu’affrontent notre pays, qu’il existe dans la société une source intarissable d’ingéniosités, d’énergies, d’innovations et de savoirs inexploités, lesquels n’attendent qu’à se mettre au service de notre intérêt général.
La croyance en la raison du peuple est avant tout un acte de confiance, celui dans la capacité de chacun d’entre nous à élever son niveau de conscience politique, dans notre aptitude à dépasser nos divergences et la tentation facile de tout conflictualiser pour s’atteler à réfléchir et travailler à l’élaboration d’un nouveau projet de société dont tous seraient partie prenante et donc responsables. Selon nous, le choix d’une forme de populisme de raison, qui allie la radicalité du moment et la tradition républicaine du débat citoyen, constitue désormais le seul recours dont nous disposons pour pallier un parlement affaibli et morcelé et surtout, pour empêcher la dislocation de notre société.
Ce choix suppose d’abord de se fonder sur nos aspirations communes et majoritaires pour tenter d’agréger un maximum de Français. Les avis des citoyens ne peuvent plus constituer une simple variable au service des formations politiques, utilisés opportunément lorsqu’ils se calquent sur leur position (la retraite pour les uns, l’immigration pour les autres…). Les opinions majoritaires ne doivent pas avoir pour fonction d’être instrumentalisées pour servir les agendas des grands partis mais, au contraire, servir de boussole pour la définition d’un programme politique.
Au-delà̀ des clivages traditionnels, il existe la possibilité d’unifier les citoyens autour d’un projet fédérateur, avec l’objectif final de bâtir pour tous, en France, les conditions d’une vie digne et heureuse, en se fondant sur les valeurs et principes qui font consensus au sein de la société, comme l’attachement à notre pays, aux principes républicains, la volonté de préserver la vie et notre environnement, la défense de notre état social, de la valeur du travail…Il ne s’agit pas de gommer les divergences de points de vue ou de nier les multiples dissensions qui irriguent la société mais de placer les fins avant les moyens et de retrouver le gout de débattre et l’effort de convaincre. Au lieu de craindre les aspirations majoritaires de Français, il faut au contraire travailler à en extraire des réponses politiques, en s’efforçant toujours de conjuguer l’efficacité et la justice.
Pour réussir ce pari, il faut ensuite tenter de redonner aux citoyens la pleine capacité d’influer sur la conduite de la nation en levant, d’une part, tous les obstacles institutionnels mais aussi juridiques et financiers à l’engagement et, d’autre part, tous les freins à l’expression souveraine de la volonté populaire. Cela signifie, évidemment, de permettre l’infusion de la démocratie directe dans toutes les strates de la société afin que le principe « un citoyen = une voix » puisse s’exercer chaque fois que cela est possible. Cela suppose également créer les conditions nécessaires à la régénération de l’offre politique, en conférant au plus grand nombre les garanties de pouvoir se présenter à toutes les élections sans crainte ni entrave et les moyens, pour tous ceux qui le souhaitent, d’exercer une fonction politique.
Évidemment, rien de tout cela ne pourra advenir si nous continuons de consentir à être réduits au rôle de spectateurs désabusés du jeu politique et si nous ne cessons pas de nous détourner de toute forme d’engagement pour nous réfugier dans le confort de notre cercle privé. Les écueils à relever pour se réapproprier notre rôle politique sont innombrables, bien sûr, mais nous devons être conscients que pour remporter ce combat et reprendre la pleine maîtrise de notre destin, le préalable est de parvenir à surmonter la tentation de nous replier sur notre propre archipel, qu’il soit familial, amical, social ou communautaire et parvenir, comme Jean Jaurès en formulait le vœu et en dépit des contraintes et des tentations de nos existences modernes, à trouver suffisamment de temps et de liberté d’esprit pour nous consacrer à la chose commune.
Liste des premiers signataires :
Tribune publiée sur « Marianne » https://www.marianne.net/agora/tribunes-libres/la-crise-de-la-representativite-a-engendre-une-democratie-minoritaire
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